Qui est Claude Duboscq ? (*)

Claude Duboscq naît à Bordeaux le 15 juillet 1897, dernier d’une famille de six enfants. Sa famille appartient à la haute bourgeoisie bordelaise. Antoine Duboscq, son père, est notaire et possède près de 3.000 hectares de pins dans les Landes. Son exploitation forestière ainsi que le commerce des traverses de chemin de fer qu’il gère avec ses deux frères René et Camille fournissent à la « Société Duboscq Frères » un revenu considérable.

Claude baigne dans un milieu très pieux et catholique. Antoine Duboscq, d’une générosité sans limites, prend très rapidement conscience des dons exceptionnels de son fils et favorisera autant que se peut son épanouissement culturel et musical.

Dès l’âge de trois ans, Claude étudie le piano. Il donne ses premières auditions à l’âge de 5 ans et signe ses premières compositions à 11 ans. Il déchiffre avec boulimie et veut assimiler un maximum de répertoire.

En véritable artiste, il n’aspire pas à devenir un virtuose, simple « croqueur de notes ». Il restera autodidacte dans l’âme, malgré les cours de musique de toutes sortes qu’on lui prodigue. Aux ouvrages théoriques, Claude préférera toujours l’étude directe des maîtres.

Ses premiers émois musicaux se portent sur Wagner, dont il entend l’œuvre à Bayreuth et Munich.
En 1912, âgé d’à peine 15 ans, Claude vit son premier drame : sa mère, avec laquelle il avait une intimité presque fusionnelle meurt. En 1916, Antoine quitte Bordeaux et s’installe à Onesse-Laharie (Landes).
Claude rêve de se mesurer à l’orgue et désire se rendre à Paris travailler avec Vincent d’Indy (1851 – 1931), compositeur qu’il admire, à la Schola Cantorum. Tout en préparant son baccalauréat, il étudie le chant grégorien, le contrepoint, la fugue, l’orgue enfin sous la direction de Maître Henri Letocart (ancien élève de César Franck, organiste de Saint-Pierre de Neuilly), qui l’initie aux grands maîtres de l’orgue.

La capitale lui ouvre de nouveaux horizons. Il y noue des amitiés profondes avec Albert Roussel, Joseph-Guy Ropartz, Joseph Bonnet, Ricardo Viñès.

Alors qu’il est en vacances à Onesse, la guerre de 1914 éclate. Pendant l’hiver 1914- 1915 il compose, puis au grand dam de son père, il s’engage au début de 1915. Il est renvoyé dans ses foyers en 1917.

Antoine Duboscq, désireux de garder son fils auprès de lui, promet de lui offrir un Grand Orgue. C’est ainsi qu’il lui fait construire une grande salle de musique dotée d’un magnifique orgue à triple claviers. On baptise la maison d’Onesse du nom d’un jeu d’orgue, « Le Bourdon ».

A l’occasion d’un concert à Paris, Claude rencontre celle qui va devenir sa femme, la pianiste Philippe-Marie Keller. Ils se marient l’année suivante, le 12 avril 1921. Ils auront six enfants. Au cours de son voyage de noces à Grenade, Claude est reçu chez Manuel de Falla (1876 – 1946), avec lequel il entretenait déjà une correspondance et qui l’encourage à cultiver la musique religieuse.

L’entourage de sa femme lui fait connaître deux personnalités littéraires de l’époque : Charles Guérin et Francis Jammes qui deviendra le parrain de Gilles Duboscq, 3ème fils de Claude et Philippe-Marie.

Le couple emménage à Onesse dans une aile annexe appelée « Le Chalet ».

En 1922, Claude rencontre le sculpteur bourguignon Henri Charlier (1882 – 1975), ancien ami de Charles Péguy, qui a élu domicile au Mesnil Saint-Loup près de Troyes. C’est le début d’une longue amitié soudée par des convictions et aspirations religieuses communes. Henri Charlier deviendra le parrain de Michel Duboscq, 2ème fils de Claude et Philippe-Marie Duboscq.

Claude Duboscq forge doucement son langage musical indissociable de la pensée religieuse qui l’habite. Il professe la plus grande admiration pour Rameau, Fauré, Ravel et surtout Debussy et Erik Satie, dont il apprécie « l’immense effort pour libérer la musique d’habitudes séculaires ». Il cultive le rythme libre : « Je compose à même le souffle et la voix, c’est-à-dire selon un rythme vocal, selon une émotion produisant un élan de la voix, qu’ordonne la pensée et le verbe ». Il refuse la virtuosité dans le domaine religieux et recherche une forme dépouillée.

Il compose pour piano et orgue seul, chant et orgue, chant et piano, etc.

Son interprète de prédilection est la célèbre cantatrice Jane Bathori (1877- 1970), que Claude a découvert en 1913 à l’occasion d’un concert accompagné, au piano, de Claude Debussy. Celle-ci est profondément impressionnée et séduite par l’étrange grandeur qui se dégage de Claude Duboscq. « Encore peu de temps avant sa mort, en 1970, elle nous disait que peu de compositeurs autant que Claude Duboscq lui avaient donné le sentiment d’être habités par le génie. »

Son instinct le pousse à innover. Il songe à créer une nouvelle forme d’expression qui mêleraient le geste, la parole et la musique, sorte de synthèse de tous les arts, « une œuvre consubstantielle à la religion ». 

« Duboscq avait ressenti un jour le chox des célèbres « Ballets Russes », créés en 1919 par Diaghilev, Stravinsky, Satie et Cocteau. Mais ce type de ballet n’était pas tourné vers la foi… ce qui restait à faire ; toute la question est là. »

« Le déclic fût donné par Marie Vassilief, peintre mystique du groupe des « Fauves », qui suggéra à Duboscq de composer un Ballet intitulé « Divertissement Sacré ». Une troupe d’Ukrainiens, de « chœur » et d’esprit avec les « Chevaliers de la Misère Noire » devait le créer au Théâtre des Champs-Elysées au cours d’une soirée mi-mondaine, mi-charitable, au profit des chômeurs ».

Claude se met au travail et compose avec enthousiasme. Ce tryptique retraçait toute l’histoire religieuse du monde « Avant, Pendant, Après » (Jésus-Christ). Les danses étaient réglées et confiées à Gilbert Baur de l’Opéra de Berlin. Les costumes furent réalisés par Marie Vassilief. Claude dirigeait le chœur ukrainien de Paris composé de 40 chanteurs.

Le titre « Bal de la Misère Noire » provoqua un scandale retentissant. Ce titre, maladroitement choisi, sonnait comme une provocation pour les classes les plus défavorisées. La presse se fit l’écho du scandale et la représentation fut finalement annulée par le Ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut. Déçu mais pas désarçonné, Claude décide en réaction de fonder une autre Confrérie appelée 

« La Pauvreté Claire » et de monter la représentation à Onesse, dans les Landes.

L’œuvre est donnée le 5 février 1928 sous une tente de 700 places. Le succès est total. Cette réussite l’encourage à poursuivre ses efforts. Jamais le « Bourdon » n’a vu défiler autant de monde que les années qui suivirent la représentation du Divertissement Sacré : « Le Bourdon, bourdonne comme une ruche ».

On décide la construction d’un théâtre de plein air adossé à la salle de musique. « Le théâtre du Bourdon était destiné à devenir un « Bayreuth chrétien ». Son fondateur rêvait d’y élaborer une sorte de Wagnérisme « déwagnérisé », c’est-à-dire conserver à la Dramaturgie son arôme mystique, tout en éliminant les toxines d’une mythologie païenne et, musicalement, celles d’une surcharge harmonique, vocale et orchestrale ».

L’inauguration de ce théâtre avant-gardiste a lieu le 31 août 1930 avec la représentation d’une des œuvres maîtresses de Claude : Colombe-la-Petite. Jane Bathori affirmait que c’était son ouvrage le plus important. « Colombe-la-Petite est un mystère qui tient par moments du divertissement tel qu’on le concevait au 18ème siècle avec la danse plus dramatique, plus expressive, à tout moment découlant de l’action même du drame. »

Henri Ghéon (1875 – 1944), dramaturge et cofondateur de la Nouvelle Revue Française (1909) qui arrive sceptique, repart enthousiasmé et conquis. L’Abbé Gilles Duboscq écrivit : « Le drame lyrique chrétien au 20ème siècle venait de trouver sa voie. Qui en eût conscience alors ? Et aujourd’hui ?… »

Antoine Duboscq meurt le 31 décembre 1930. Claude hérite de l’affaire paternelle, mais il n’est pas homme d’argent. Cette mort va marquer un tournant, plutôt néfaste, dans sa vie artistique, dans la mesure où son père jouait un rôle protecteur important vis-à-vis du monde extérieur, notoirement des autres membres de la famille Duboscq, gestionnaires des affaires familiales.

Depuis plusieurs années, Claude rêve de transformer la propriété du Bourdon en Ecole d’Art Dramatique, « un centre dramatique, avec des élèves pensionnaires, où on enseignerait la composition, la musique instrumentale, la danse, la pantomine, le chant et la diction ». Comme le souligne la femme de Claude Duboscq : « La salle de musique, son Grand Orgue, un capital de livres et d’instruments étaient déjà sur place ».

Malheureusement, la famille totalement fermée aux aspirations artistiques et éthiques de Claude et y voyant « une menace de scandale ou simplement une déchéance sociale » va tout faire pour stopper ce projet. L’entreprise dût s’arrêter par manque de subsides. Une santé fragile aidant, Claude Duboscq sombre dans une dépression grave, dont il ne sortira presque plus.

Pour arracher Claude à sa solitude, Jane Bathori et Henri Charlier organisent une tournée de concerts en Belgique. Il y joue sur les orgues de Bruxelles, Anvers, Malines, Louvain, Gand, Verviers, Liège, …

La mort de sa dernière fille, à 18 mois, lui porte un coup ultime. Il met fin à ses jours le 2 mai 1938. Il a 40 ans.

Son corps repose au Mesnil-Saint-Loup, auprès de son ami Henri Charlier.

Sa vie ainsi arrêtée, son œuvre seule lui survit.

(*) : Ce texte est essentiellement fondé sur celui rédigé par Samuel Wernain dans son Mémoire "Les orgues de Wihr-au-Val et l'orgue Mutin Cavaillé-Col", rédigé en 2004 (partie II. A. 1). Celui-ci cite d’autres sources, les personnes les plus significatives ayant historiquement écrit sur Claude Duboscq, à la fois à titre familial, musical, religieux. Pour les plus importants d’entre eux :
- Abbé Gilles DUBOSCQ, différents textes disponibles dont « Claude Duboscq, Musicien et dramaturge chrétien ». et « La montée de la jeunesse » (1960).
- Philippe-Marie KERGALL – KELLER, Claude Duboscq in Revue Zodiaque n°131, janvier 1982.
- Roger DELAGE : Claude Duboscq, in Revue Chant Choral n°29, 1981, p.13
- Jacqueline PICOCHE, « Claude Duboscq, 1897- 1938, musicien inconnu ».